Série de textes sur L'Etat

Texte 1 :

Etat, forme d’institutionnalisation du pouvoir politique, autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un peuple dans les limites d’un territoire déterminé. L’Etat se compose de trois éléments : un territoire, une population et un gouvernement. On peut ainsi parler d’Etat démocratique, monarchique, tyrannique aussi bien que théocratique.
L’Etat démocratique libérale garantit les droits fondamentaux de l’individu tels qu’ils sont proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les libertés fondamentales se trouvent assurées par les mécanismes de l’Etat de droit, dans lequel les autorités politiques elles-mêmes sont soumises au respect du droit. A l’opposé, les états totalitaires comme l’Allemagne sont sous le régime nazi ou l’ex-URSS, interviennent sur
tous les aspects de la vie privée, et nient les libertés individuelles élémentaires. Sur le plan interne, le rôle de l’Etat est multiple. Tout d’abord, il consiste à fournir à la population un cadre juridique lui permettant de vivre et d’agir dans l’ordre et la sécurité. L’Etat crée le droit par le biais de ses organes, notamment constitutionnels. On distingue traditionnellement : le pouvoir législatif, qui vote la loi et qui appartient au Parlement ; le pouvoir exécutif qui applique la loi et qui est dévolu au gouvernement ; le pouvoir judiciaire qui tranche les litiges dans les cas particuliers et qui échoit aux tribunaux. En principe, ces trois pouvoirs sont séparés en démocratie, et confondus en dictature. D’autre part, l’Etat remplit d’autres fonctions. Il assure la défense au moyen de l’armée, la justice au moyen des juridictions, et l’ordre intérieur au moyen de la police.
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Texte 2 :

Qu’est-ce que l’Etat ?(…) Il semble qu’on puisse adopter la définition proposée par M. G. BURDEAU : l’Etat, c’est le pouvoir politique institutionnalisé(…) Il s’agit d’un pouvoir politique dont l’exercice est soumis à des règles de droit établies pour fonder sa légitimité. Individualisé le pouvoir politique est un pouvoir de fait ; il est à qui le prend ou le possède. Le pouvoir politique institutionnalisé est un pouvoir de droit : celui qui l’exerce n’en est pas maître ni propriétaire avec liberté d’en user selon son bon abus que s’il se conforme à des institutions indépendantes de sa volonté, de ses passions et de ses intérêts individuels. Cette forme de pouvoir politique suppose une prise de conscience et une représentation collective de la société civile comme réalité et comme valeur supérieure à l’individu, y compris cet individu qui a le pouvoir. C’est déjà la signification de la notion romaine de « Respublica » (chose publique)
Jean William Lapierra, le Pouvoir Politique, P.U.F.1953 ? P.82-83.

Texte 3:

L’Etat est l’organisation rationnelle et raisonnable (morale) de la communauté ; il ne peut lui être assigné d’autre but que celui de durer en tant qu’organisation consciente de la communauté historique dont il est l’organisation et qui est ce qu’elle est dans cette forme d’organisation.il n’est pas évident que la forme de l’Etat de notre époque soit la seule dans laquelle une communauté puisse durer ; mais il est évident que l’Etat moderne vise essentiellement ce but. Si une autre forme d’Etat peut (ou doit) être pensée, c’est là une question qui pour le moment ne saurait recevoir de réponse.
E. WEIL, Philosophie politique, VRIN 1996 ? P.131

Texte 4:

Le terme d'État n'est pas très ancien; la plupart des idées qu'il évoque, celle de pouvoir comme celle de l'ordre, remontent pourtant à la cité grecque (…) C'est au XVIe siècle que la notion moderne de l'État est entrée dans la terminologie politique (…) Elle marque l'apparition de pouvoirs absolus, mais localisés, situés, renfermés dans des frontières (…) Le terme d'État évoque d'abord l'idée de pouvoir, de pouvoir efficace, protégé, organisé (…) Pouvoir efficace, l'État implique aussi un pouvoir souverain (…) Cette souveraineté s'affirme à la fois sur le plan interne et sur le plan international (…) l'État se définit encore comme pouvoir légitime (…)
J. Donnedieu de Vabres, l'État, p. 5-9.

Texte 5:

Puisque l’autorité requiert toujours l’obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l’autorité exclut l’usage des moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. L’autorité, d’autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre égalitaire de la persuasion se tient l’ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique. S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande ; ce qu’ils ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée.
Hannah ARENDT, Recueil « Du mensonge à la violence »

Texte 6:

Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes
dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple.
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Une nation est donc une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices que l’on a faits et de ceux que l’on est disposé à faire. Elle suppose un passé : elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours.
Renan. « Qu’est-ce qu’une nation ? »

Texte 7:

Voici que les gens puissants traînent devant les tribunaux ce même Socrate, notre ami, et portent contre lui une accusation des plus graves qu’il ne méritait certes point : c’est pour impiété que les uns l’assignèrent devant le tribunal et que les autres le condamnèrent, et ils firent mourir l’homme qui n’avait pas voulu participer à la criminelle arrestation d’un de leurs amis alors banni, lorsque, bannis eux-mêmes, ils étaient dans le malheur.
Voyant cela et voyant les hommes qui menaient la politique, plus je considérais les lois et les moeurs, plus aussi j’avançais en âge, et plus il me parut difficile de bien administrer les affaires de l’Etat. D’une part, sans amis et sans collaborateurs fidèles, cela ne me semblait pas possible.- Or, parmi les citoyens actuels, il n’était pas commode d’en trouver, car ce n’était plus selon les us et coutumes de nos ancêtres que notre ville était régie. Quant à en acquérir de nouveaux, on ne pouvait compter le faire sans trop de peine. – De plus, la législation et la moralité étaient corrompues à un tel point que moi, d’abord plein d’ardeur pour travailler au bien public, considérant cette situation et voyant comment tout marchait à la dérive, je finis par en être étourdi. Je ne cessais pourtant d’épier les signes possibles d’une amélioration des évènements, et spécialement dans le régime politique, mais j’attendais toujours, pour agir, le bon moment.
Finalement, je compris que tous les Etats actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d’énergiques préparatifs joints à d’heureuses circonstances. Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa lumière seule, on peut reconnaître où est la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc, les maux, ne cesseront pas pour les humain avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une divine, ne se mettent à philosopher véritablement.
Platon, Lettres VII, Belles-Lettres

Texte 8:

Je passe maintenant aux autres qualités requises dans ceux qui gouvernent. Un prince, il n’y a aucun doute, doit être clément ; mais à propos et avec mesure. César Borgia passa pour cruel ; mais c’est à sa cruauté qu’il dut l’avantage de réunir la Romagne à ses états, et de rétablir dans cette province la paix et la tranquillité, dont elle était privée depuis longtemps. Et, tout bien considéré, on avouera que ce prince fut plus clément que le peuple de Florence, qui, pour éviter de passer pour cruel, laissa détruire Pistoie. Quand il
s’agit de contenir ses sujets dans le devoir, on ne doit pas se mettre en peine du reproche de cruauté, d’autant qu’à la fin, le prince se trouvera avoir été plus humain en faisant un petit nombre d’exemples nécessaires, que ceux qui par trop d’indulgence, encouragent des désordres qui entraînent avec eux le meurtre et le brigandage. Car ces tumultes bouleversent l’état, au lieu que les peines infligés par le prince ne portent que sur quelques particuliers…
Cependant le prince ne doit pas se faire craindre de manière que, s’il ne peut se concilier l’amour, il ne puisse du moins échapper à la haine, parce qu’on peut se tenir aisément dans un milieu. Or, il lui suffit, pour ne point se faire haïr, de respecter les propriétés de ses sujets et l’honneur de leurs femmes. S’il se trouve dans la nécessité de faire punir de mort, il doit en exposer les motifs, et surtout ne pas toucher aux biens des condamnés. Car les hommes, il faut l’avouer, oublient plutôt la mort de ses parents que la perte de leur patrimoine. D’ailleurs, il se présente tant de tentations de s’emparer des biens, lorsqu’une fois on a commencé à vivre de rapine ! au lieu que les occasions de répandre le sang sont rares et manquent plus tôt.
MACHIAVEL, le PRINCE, in oeuvres COMPLETES,p.627

Texte 9:

C’est seulement dans l’Etat que l’homme a une existence conforme à la Raison. Le but de toute éducation est que l’individu cesse d’être quelque chose de purement subjectif et qu’il s’objective dans l’Etat. L’individu peut certes utiliser l’Etat comme un moyen pour parvenir à ceci ou à cela. Mais le Vrai exige que chacun veuille la chose même et élimine ce qui est inessentiel.
Tout ce que l’homme est, il le doit à l’Etat : c’est là que réside son être. Toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle, il ne les a que par l’Etat. Ce qui constitue sa réalité spirituelle, c’est le fait que la Raison, son être même, devient un objet pour lui en tant que sujet connaissant et se présente à lui comme une objectivité immédiatement existante. C'est ainsi que l’homme est conscience, c’est ainsi qu’il participe aux moeurs, aux lois, à la vie éthique et étatique. Car le Vrai est l’unité de la volonté subjective et de la volonté générale : dans l’Etat, l’Universel s’exprime dans les lois, dans des déterminations rationnelles et universelles. *…+ Le bon plaisir, les préférences particulières n’ont aucune validité.
HEGEL, la RAISON DANS L’HISTOIRE, pp.136

Texte 10:

Le but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination ni la répression des hommes, ni leur soumission au joug d’un autre (…) Le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates ! Ce qu’on a voulu leur donner, c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leurs corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de
raisonner plus librement, ils ne s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté !
Baruch Spinoza, Traité des autorités théoriques et politiques,
Chap. XX, trad. M. France, Gallimard, La Pléade, p. 95

Texte 11:

Il y a quelque part encore des peuples et des troupeaux, mais ce n’est pas chez nous, mes frères : chez nous il y a des Etats.
Etat ? Qu’est-ce cela ? Allons ! Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.
L’Etat, c’est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le Peuple. »
C’est un mensonge ! Ils étaient des créateurs, ceux qui créèrent les peuples et qui suspendirent au- dessus des peuples une foi et un amour : ainsi ils servaient la vie.
Ce sont des destructeurs, ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un Etat : Ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits.
Partout où il y a encore du peuple, il ne comprend pas l’Etat et il le déteste comme le mauvais oeil et une atteinte aux coutumes et aux lois.
Je vous donne ce signe : Chaque peuple a son langage du bien et du mal : son voisin ne le comprend pas. Il s’est inventé ce langage pour ses coutumes et ses lois.
Mais l’Etat ment dans toutes les langues du bien et du mal ; et, dans tout ce qu’il dit, il ment- et tout ce qu’il a, il l’a volé.
Tout en lui est faux ; il mord avec des dents volées, le hargneux. Fausses sont même ses entrailles.
NIETZSCHE, AINSI PARLANT ZARATHOUSTRA, P.66

Texte 12:

Toute opposition au pouvoir législatif suprême, toute révolte destinée à traduire en actes le mécontentement des sujets, tout soulèvement qui éclate en rébellion est, dans une république, le crime le plus grave et le plus condamnable, car il en ruine le fondement même. Et cette interdiction est inconditionnelle, au point que quand bien même ce pouvoir ou son agent, le chef de l’Etat, ont violé jusqu’au contrat originaire et se sont par-là destituées, aux yeux du sujet, de leur droit à être législateurs, puisqu’ils ont donné licence au gouvernement de procéder de manière tout à fait violente (tyrannique), il n’en demeure pas moins qu’il n’est absolument pas permis au sujet de résister en opposant la violence à la violence. En voici la raison : c’est que dans une constitution civile déjà existante le peuple n’a plus le droit de continuer à statuer sur la façon dont cette constitution doit être gouvernée. Car supposé qu’il en ait le droit, et justement le droit de s’opposer à la décision
du chef réel de l’Etat, qui doit décider de quel côté est le droit ? Ce ne peut être aucun des deux, car il serait juge dans sa propre cause.
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Car le chef de l’ Etat peut tout aussi bien, pour justifier la dureté de son procédé à l’égard de ses sujets, arguer de leur insoumission que ces derniers peuvent justifier leur révolte en se plaignant de subir un traitement qu’ils n’ont pas mérité, et qui tranchera en ce cas ? Celui qui se trouve en possession de l’administration suprême de la justice, et c’est précisément le chef de l’Etat, est seul à pouvoir le faire ; et il n’est par conséquent personne dans la république qui puisse avoir le droit de lui contester cette possession.
Kant, sur l’expression courante

Texte 13:

L’engagement politique n’est (…) pas un luxe, ni même un choix que je pourrais faire ou ne pas faire à moins de faire sécession à l’égard des autres, de m’enfoncer dans un individualisme qui me conduit à l’égoïsme et à l’impuissance, je suis « embarqué » : la politique que je le veuille ou non est une dimension de ma vie.
Il n’y a aucun sens à dire : je ne fais pas de politique. Je suis pris dans un réseau social qui conditionne mes pensées, mes actions, mes sentiments, tous les aspects de ma vie présente : mon travail comme mes loisirs, ma famille comme mon logement, toutes mes possibilités de vivre d’une vie humaine ou inhumaine. Ce courant de vie sociale qui vient de plus loin que moi, qui va plus loin que moi me porte et me submerge. Si je crois m’abstenir, cela signifie que je me laisse emporter et je contribue à laisser emporter les autres ; ma prétendue indifférence équivaut à un choix précis, celui du maintien du cours régnant avec son ordre ou ses désordres.
Roger GARAUDY, Parole d’homme, Ed. Laffont.

Texte 14:

La «mondialisation» est un processus historique qui est le fruit de l'innovation humaine et du progrès technique. Elle évoque l'intégration croissante des économies dans le monde entier, au moyen surtout des courants d'échanges et des flux financiers. Ce terme évoque aussi parfois les transferts internationaux de main-d'oeuvre ou de connaissances (migrations de travail ou technologiques). La mondialisation comporte enfin des dimensions culturelle, politique et environnementale plus vastes qui ne sont pas abordées dans la présente étude.
Fondamentalement, la mondialisation n'a rien de mystérieux. Le terme est couramment utilisé depuis les années 80, c'est-à-dire depuis que le progrès technique permet d'effectuer plus facilement et plus rapidement les opérations internationales (commerciales ou financières). Il traduit le prolongement au-delà des frontières des pays des forces du marché qui ont opéré pendant des siècles à tous les niveaux d'activité économique (marchés de village, industries urbaines ou centres financiers).
Le marché favorise l'efficience grâce à la concurrence et à la division du travail (la spécialisation permet aux travailleurs et aux économies de se consacrer à ce qu'il font de mieux). Grâce à la mondialisation des marchés, il est possible de tirer parti de marchés plus nombreux et plus vastes dans le monde. Cela signifie que l'on peut avoir accès à davantage de capitaux et de ressources technologiques, que les importations sont moins coûteuses et que les débouchés pour les exportations sont élargis. Cependant, les marchés ne garantissent pas nécessairement que cette efficience accrue profite à tous. Les pays doivent être prêts à lancer les politiques indispensables et, dans le cas des plus pauvres, ils peuvent pour ce faire avoir besoin de l'appui de la communauté internationale.
Nicholas Crafts, Globalization and Growth in the Twentieth Century, Document de travail du FMI, WP/00/44, Washington, Avril 2000.

Texte 15:

Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger dans la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et il ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire2, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre3 ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règles leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? *…+
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain4 étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées ,minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point , il empêche de naître ; il ne tyrannise point , il gêne , il comprime , il énerve, il éteint , il hébète ,et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux , dont le gouvernement est le berger.
Tocqueville, DE LA DEMOCRATIEEN AMERIQUE, TOME II, QUATRIEME PARTIE 

Commentaires

Ce texte est très important car j'ai eu idée sur l'État

C'est vraiment très important & trop cool aussi mais ça l'aurait été encore plus si c'était en pdf

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