Nature et Culture

Introduction

La nature peut avoir plusieurs sens  qui induisent à une  équivocité du terme. Elle peut désigner dans son acception générale l’environnement, l’univers dans lequel se trouve plongé toute existence concrète. Elle peut également désigner les caractéristiques essentielles  qui président à la définition d’une chose ou de l’homme. Nature dans le vocabulaire d’Aristote ou de Spinoza désigne  respectivement le Principe ou Dieu en tant que cause ou source  de ce qui peut naître, grandir et disparaître.
Ces différentes acceptions peuvent se recouper  dans le concept de  «ce qui est donné » qu’il soit l’environnement,  l’essence dont on ne peut se départir ou même le principe des choses.
Culture peut également avoir plusieurs sens. En effet culture dans son sens premier désigne agriculture ou l’ensemble des activités agricoles. En second lieu, elle désigne un degré suffisant de connaissances académiques : ici on parle de culture intellectuelle ou générale. En fin elle désigne l’ensemble des phénomènes sociaux, des institutions, des coutumes, des mœurs, des savoirs mis sur pied par un groupe humain grâce à l’éducation : ici on parle de culture comme l’identité de chaque groupe social.
La culture donc se définit principalement  par tout « ce qui est acquis ». Il s’agit  de ce qui est construit ou produit par l’homme ; que ce soit production agricole ou intellectuelle ou  même la mode de vie adopté.
Face à cette opposition apparente entre « ce qui est donné » et « ce qui est acquis » la question est de savoir la place qu’il faut  accorder à l’homme. Autrement dit la question est : L’homme est-il un être purement naturel ou purement culturel ? Peut-on d’ailleurs délimiter chez l’homme le naturel et le culturel ? Qu’est-ce qui délimite la nature et la culture ? Existe-t-il d’ailleurs une «nature humaine » laquelle est considérée comme son « essence » ; c’est-à-dire l’ensemble des propriétés communes à tout homme. Cette problématique nous plonge au centre de la réalité humaine ; une réalité qui entend rompre d’avec celle des autres espèces naturelles.

I Distinction du naturel et du culturel

1°) Les critères distinctifs

La nature désigne ce qui est inné chez l’être ; la culture désigne par contre tout ce qui est fabriqué. On peut par conséquent dire que la culture comprend tout ce qui s’ajoute à la nature. Herskovits  écrit à ce propos la culture est « tout ce qui dans le milieu est dû à l’homme ». Cette définition montre ainsi que la culture dépend en grande partie de la nature comme l’est une réponse par rapport à la question posée. La rencontre chez l’homme de ces deux instances intimement liée tout en s’opposant justifie la problématique de la possibilité de les démêler pour reconnaitre la propriété de chaque acte humain. La distinction se fait sur plusieurs plans.
 D’abord par le mode de transmission : en effet la nature d’un être se transmet par hérédité passant alors par la voie biologique. Ainsi, selon François Jacob, le développement physique de chaque individu est commandé par le déroulement d’un programme de reproduction cellulaire inscrit dans ses gènes. Ce programme génétique est déjà présente dés la fécondation. De là, les lois de l’hérédité permettent de déterminer une grande partie de certaines dispositions naturelles lesquelles refont surface constamment chez les descendants.
 En revanche la culture est un héritage qui se transmet par voie éducative. Ainsi le but de l’éducation est d’élever un être humain au dessus de sa condition naturelle de sauvage. C’est donc l’éducation qui nous fait passer de l’état de nature à l’état de culture. Olivier Rebouls définit l’éducation à travers ses objectifs «L’éducation est un ensemble de processus et de procédés qui permettent à tout enfant humain d’accéder progressivement à la culture : l’accès à la culture étant ce qui distingue l’homme de l’animal »
La distinction se fait ensuite par les caractéristiques de chaque instance : le naturel est marqué par son caractère inné, spontané, instantané, permanent, universel et général. Le culturel quant à lui est marqué par l’acquis, l’artificiel, le construit, le variable, le relatif et le particulier. Partant donc de la variabilité des cultures et de la permanence de la nature, Claude Lévi-Strauss établit une distinction dont le principe opérationnel est la symétrie norme/universel. Il écrit : « Tout ce qui est universel chez l’homme relève de l’ordre de la nature et se caractérise par la spontanéité…. Tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente des attributs du relatif et du particulier ». La norme qui intègre à la fois l’idée de règle et surtout l’idée de valeur demeure le critère distinctif de la culture. Le terme culture désigne alors l’ensemble des valeurs, des institutions, des habitudes, des attitudes qui résulte de l’adaptation d’un groupe social à leur cadre de vie. Un écart, une différence remarquable sépare donc la nature de la culture. Et on peut bel et bien distinguer le naturel et le culturel selon Claude Lévi-Strauss.

2°) L’homme : un être bio-culturel

Cette distinction de Claude Lévi-Strauss semble très simplifiée au point de fausser l’étude d’un être si complexe comme l’homme. Ce dernier est à la fois et sous le même rapport un être naturel et culturel. En effet il est impossible de relever un acte purement naturel et un acte purement culturel chez cet être multidimensionnel. Pascal souligne que la nature et la culture ne sont pas distinctes puisqu’il y a une mutation réciproque, une interchangeabilité des deux concepts. Selon lui il y a deux  entrées par où les connaissances sont reçues : il s’agit de l’instinct et l’expérience qui préfigure respectivement le naturel et le culturel. Seulement l’expérience répétée devient une habitude ; et celle-ci transmise de génération en génération devient instinctive, spontanée. Par conséquent ce qui était acquisition par expérience au départ,  finit par revêtir les attributs du naturel. Pascal écrit : « La coutume est une seconde nature qui détruit la première. […] cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume ».
La rencontre chez l’homme de cette double détermination débouche sur un mélange, une endosmose que Maurice Merleau-Ponty trouve insensée l’idée de vouloir les distinguer. La double détermination n’est pas superposable en deux ″couches″  distinctes du naturel et du culturel. Il écrit : « Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué ». Cette mutation réciproque de Pascal ou cette double dissolution de nature et culture de Maurice Merleau-Ponty est compréhensible car l’une procède du développement  ou relève même d’une partie de l’autre. Elles sont dans une relation dialectique ; c’est-à-dire en même temps que l’inné s’oppose à l’acquis, ils se complètent et se coproduisent. Edgard Morin explique le double qualificatif inextricable de l’homme par ces termes : « Dire que l’homme est un être bio culturel, ce n’est pas simplement juxtaposer ces deux termes, c’est montrer qu’ils se coproduisent l’un l’autre et qu’ils débouchent sur cette double proposition :
  • Tout acte humain est bio culturel (manger, boire, dormir, déféquer, s’accoupler, chanter, danser, penser ou méditer)
  • Tout acte humain est à la fois totalement biologique et totalement culturel »
L’exclusivité de l’un de ces deux déterminations n’est pas possible malgré leurs caractéristiques contradictoires.il est donc difficile de tracer les bornes entre nature et culture. Mais même s’il y a des avantages de part et d’autre, la culture est la seule instance qui permet de délimiter le règne animal du règne humain ; et c’est aussi elle qui sépare un groupe humain d’un autre groupe humain en lui donnant une identité. Toutefois si tout groupe humain possède une culture laquelle le différencie des autres groupes, on ne peut qu’assister à la diversité des cultures. La culture donc nous rend semblables tout en nous séparant. Cette diversité culturelle est parfois mal comprise ; et ceci peut causer  beaucoup de difficultés auxquelles il s’agit de trouver des solutions. 

II La diversité des cultures

1°) Dynamisme et Stabilité de la culture

Toutes les sociétés ont une culture. C’est parce que la culture n’est rien d’autre que l’ensemble des techniques de productions, des moyens de reproduction, de l’organisation familiale et politique dont dispose toute société. La culture est une superstructure composée d’éléments interdépendants ; parmi ces éléments, les coutumes et les traditions ainsi que les moyens de les conserver  sont d’une importance capitale. On peut même dire que l’histoire ou la conservation du passé  est le fondement de la culture. L’une des finalités de l’éducation est d’ailleurs de perpétuer la culture ; c’est-à dire de transmettre  aux générations futures ce corps de coutumes propre à chaque société. Pascal n’a pas manqué de faire coïncider culture et coutume. En effet la stabilité d’une culture est garantie par la capacité du groupe à s’enraciner dans ses valeurs traditionnelles ; autrement dit à veiller à l’enculturation de chaque nouveau membre. Cet enculturation, processus d’intégration de l’individu dans sa culture, passe par des structures sociales telles que la famille, l’initiation, l’école, la mosquée ou l’église, les classes d’âge etc. Jacques Maquet souligne le danger de ne pas assurer cet enculturation ou cet éducation qui consiste à informer aux jeunes générations l’ensemble des modes de vie spécifique à chaque groupe par ces termes : « Imaginons que, par quelque accident, une génération ne transmette pas à la suivante cet ensemble de moyens d’ajustement à un milieu : la société périrait ». Par là une définition de la culture comme une adaptation à un milieu en ressort. Ainsi le cadre, la nature ou le milieu physique  constitue le modèle initial que le groupe social essaie de modifier pour l’adapter à sa façon de vivre. La culture est donc un processus de modification qui poursuit un idéal sans jamais l’atteindre. Ce dynamisme culturel est dans une relation dialectique avec la stabilité garante de la survie d’une culture. Le groupe doit donc évoluer en se fondant sur la dialectique de l’enracinement et de l’ouverture selon les mots de Senghor. C’est l’ouverture qui supporte tout changement mais c’est l’enracinement qui supporte la stabilité permettant de normaliser tout changement intervenu dans le groupe. Ce changement par des valeurs qui résulte de l’inévitable contact des cultures et la résistance à ce changement par une volonté de conserver ses valeurs traditionnelles s’accompagne de conflits, de tensions internes que Jean Maisonneuve souligne par ces : « Les ressors du changement proviennent non seulement des tensions internes entre l’opinion des individus membres du groupe mais des pressions externes liées à une évolution sociologique  générale ». La pression que le groupe exerce sur l’individu n’est pas seulement externe et négative car l’individu, en ayant besoin d’affectivité et  de sécurité, s’inscrit volontairement dans le modèle culturel du groupe pour gagner l’estime de ses paires.  Cet accommodement de l’individu aux exigences culturelles est justifié par la relation paradoxale de contrainte sociale et de liberté individuelle. Ralph Linton l’exprime par ces termes : « C’est ce besoin de réponse et spécialement de réponse favorable, qui détermine essentiellement l’homme à se comporter de façon socialement acceptable. On se conforme aux coutumes de la société autant par désir d’approbation que par crainte de châtiment ». Ce désir naturel de considération ne peut être satisfait que si l’individu épouse les modèles culturels tracés par son groupe. Tout se passe comme si l’individu est fixé dans une communauté culturelle hors de laquelle il se sentira perdu et persécuté. C’est parce qu’il est dans une relation de symbiose avec sa communauté qu’il est presque impossible de trouver le salut en rompant d’avec ses cultes et ses traditions. Le phénomène d’acculturation largement thématisé peut avoir des effets négatifs comme l’exclusion sociale dont le cas limite est la folie. Et même la folie présente des modes d’expression définis également par les cultures. Roland Jaccard écrit : « On ne devient pas fou comme on le désire ; la culture a tout prévu. Au cœur même de l’élaboration de la névrose ou de la psychose par laquelle nous tentons de lui échapper, la culture vient encore nous rejoindre pour nous dire quelle personnalité de rechange nous devons adopter ».
Ne pas perdre sa culture c’est bon certes, mais être capable de l’accommoder  aux autres cultures, surtout dans la dynamique de la mondialisation, c’est encore mieux. Ainsi tout refus catégorique des valeurs étrangères en prétextant l’autosuffisance et le purisme culturel ne peut que déboucher sur l’ethnocentrisme.

 2°)  L’ethnocentrisme et le relativisme culturel

L’ethnocentrisme part d’un classement supposé pour rétrograder une culture au profit de sa culture. Elle se fonde ainsi sur un principe qui consiste à considérer que les cultures ne se valent pas ; c’est dire, en d’autres termes, que les peuples ont plus ou moins un certain de degré de civilisation et qu’ils ne sont pas au même niveau. Ce classement a tendance à placer sa culture au centre des autres en la considérant comme la seule référence possible. De ce fait le jugement émis sur les autres cultures manque d’objectivité car il est fortement influencé par une dose ethnocentrique. L’ethnocentrisme donc, au même titre que le racisme, la xénophobie et l’intégrisme, adhère à un évolutionnisme de l’humanité qui incite les individus à un refus de la diversité sur toutes ses formes.  Au lieu de la tolérance  qu’exige la diversité des cultures,  des races, des nations et des religions, on juge plutôt ce qui est différent avec mépris et haine. Ainsi on a alors tendance à dévaloriser certains peuples et même parfois à  leur nier une dignité culturelle afin de les considérer comme des barbares. A. Leroi-Gourhan, dans le Geste et la Parole, écrit  « C'est en effet l'ethnocentrisme qui définit le mieux la vision préscientifique de l'homme. Dans de très nombreux groupes humains, le seul mot par lequel les membres désignent leur groupe ethnique est le mot «  hommes  ». L'assimilation de l'ethnie à une sorte de «  moi  » idéal, réunissant les qualités du bien et du beau, fait opposition à la tendance à placer au delà du monde familier les peuples monstrueux qui réalisent dans leur aspect et dans leurs mœurs, au maximum, le mal et la laideur ». Ces propos de Leroi-Gourhan sont illustrés de fort belle manière, dans l’antiquité, par l’attitude des grecs qui appelaient barbares tous les peuples qui n’étaient et ne parlaient pas grec. Des entreprises destructrices comme l’esclavage, le colonialisme, les génocides et les guerres ethniques ou tribales ont pour principale cause l’ethnocentrisme.
Ainsi l’identité culturelle, étant le soubassement aussi bien d’un développement économiquement qu’une orientation politique, l’équilibre mondial se trouve menacé par l’ethnocentrisme. Ainsi Kant n’envisage une paix durable dans ce monde que par le respect réciproque des identités culturelles et une tolérance des imperfections constatés partout. Kant jette alors les bases dans la recherche des solutions aux problèmes que l’ethnocentrisme a causés. Parmi les solutions on note la civilisation de l’universel de Senghor ou le relativisme culturel des ethnographes et éventuellement le retour à l’état de nature des philosophes.
    - La civilisation de l’universel est une fécondation issue de la rencontre des cultures dans ce qu’il y a de meilleur. Elle est différente d’une civilisation universelle issue de la mondialisation qui n’est rien d’autre qu’une uniformisation ou une domination d’une culture sur les autres. Au contraire, dans la civilisation de l’universel, il ne s’agit pas d’absorption ou de suppression d’une culture au profit d’une autre.  Il ne s’agit pas non plus de choc mais d’une conciliation de différentes valeurs culturelles. Paul Ricœur parle, dans cette même dynamique, de dialogue des cultures ou selon ses propres termes d’ « une rencontre qui ne soit pas mortelle pour tous ». Ce concept de Senghor signifie qu’il y a une symbiose qui prend en compte la particularité de chacun et, ainsi de la diversité des cultures, s’élabore l’universel. Senghor écrit à ce propos dans Liberté III : « En cette seconde moitié du XXe siècle donc, où s’élabore, avec nous et malgré nous à la fois, la civilisation de l’universel par totalisation et socialisation de la planète et comme œuvre commune de tous les continents, de toutes les races, de toutes les nations, l’universel ne saurait être d’abord, que la compréhension de tous les apports de chaque race, voire de chaque nation ». C’est d’ailleurs le « rendez-vous du donner et du recevoir » qui ne laisse en rade aucun apport culturel.
 - Le relativisme culturel se présente comme une stigmatisation de l’ethnocentrisme. En se fondant sur  la tolérance et le respect mutuel, le relativisme est ainsi un garde-fou pour ne pas tomber dans les extravagances de l’ethnocentrisme que nous avons citées tantôt. Herskovits définit le relativisme culturel par ces termes : « Le relativisme culturel est, en effet, une philosophie qui, tout en reconnaissant les valeurs érigées par chaque société pour guider sa propre vie, met l’accent sur la dignité inhérente à tout corps de coutumes et sur la nécessité d’une tolérance pour des conventions différentes des nôtres ». Seulement la reconnaissance et la tolérance ne peuvent être effectives que si nous comprenons bien la déclaration de Claude Lévi-Strauss que voici : « Aucune société n’est parfaite. Toutes comportent par nature, une impureté incompatible avec les normes qu’elles proclament et qui se traduit concrètement par une certaine dose d’injustice, d’insensibilité, de cruauté ». Il s’agit de savoir qu’il n’y a pas une dichotomie des groupes sociaux formulée ainsi : une catégorie d’hommes absolument civilisés d’un côté et, de l’autre côté, une autre absolument sauvage et barbare. Prenant conscience de l’imperfection humaine, nous devons faire appel impérativement à la tolérance pour pouvoir accepter et supporter les valeurs et les croyances opposées aux nôtres.

III L’état de nature et la nature humaine

Une solution plus radicale consiste à couper l’homme de sa culture. Il s’agit de débarrasser l’homme de ce qui est une source de différenciation c’est-à-dire la culture ; ainsi, nous pouvons retrouver l’homme naturel et l’état de nature dans lequel il évolue. Toutefois cette volonté doit être précédée par une question fondamentale : l’état de nature est-il meilleur que l’état social ? Autrement dit le naturel est-il meilleur que l’artificiel ou le construit ? Pour répondre à cette question il faut chercher d’abord les caractéristiques de l’homme naturel et éventuellement de se demander s’il existe une nature humaine, c’est-à dire l’ensemble des propriétés communes à tous les hommes nous permettant d’effacer les différences et d’accéder à l’universel.

1°) La suprématie et l’antériorité de la nature

L’état de nature tel que conçu par Rousseau est  préférable. Rousseau part en effet d’une étude de la nature humaine pour montrer les changements apportés par l’état social et ses institutions. Selon cette étude, l’homme naturel défini comme un « animal bien organisé » était solitaire, oisif et indépendant. N’ayant aucune idée du bien et du mal, il n’agit par méchanceté car celle-ci est liée aux passions violentes comme l’amour-propre et l’orgueil. Or à l’état de nature l’homme était innocent. Rousseau tire alors un bilan positif de l’état de nature pour dire : « L’homme est naturellement bon mais c’est la société qui le rend mauvais ». Ceci nous amène à conclure que ce qui est naturel est bon et, la rencontre des hommes est à l’origine des maux du fait de l’exercice arbitraire de la force, du culte du paraître et de l’amour du superficiel. C’est parce qu’en même temps que la culture dégage des valeurs, des vices font également leur apparition.
 L’artificiel ou le construit  aura d’ailleurs une connotation  négative pour signifier le faux, l’imitateur tout en considérant que la nature, en tant qu’œuvre  ou lieu de manifestation de Dieu, relève du parfait. C’est ainsi que Aristote et Spinoza soutiennent qu’elle est non seulement autonome mais demeure le principe des choses.
De même les environnementalistes soutiennent la thèse selon laquelle la nature est une instance équilibrée et ordonnée. Ainsi la nature est bonne en soi car elle constitue la biosphère dans laquelle tous les éléments se tiennent dans une parfaite harmonie. Dans cette unité où les organismes et leur milieu sont interdépendants selon une norme préétablie, toute activité transformatrice de l’homme ne peut avoir que des conséquences néfastes. C’est ainsi que les écologistes critiquent l’aspect industriel qui accompagnent notamment les cultures modernes. Seulement le retour à l’état de nature est un idéal ou bien un souhait qui s’avère irréalisable. C’est d’autant plus utopique que le fait de considérer la nature comme un idéal ne convainc pas de nombreux penseurs tels Freud et Hegel.

2°)  La suprématie de l’état social

L’état de nature n’est pas meilleur que l’état social selon Hobbes et Hegel. L’homme naturel selon Hobbes est méchant. Il écrit « L’homme est un loup pour l’homme ». En effet l’état de nature est un état qui se présente comme «  une situation de guerre de chacun contre tous ». Animé par l’égoïsme, l’homme recherche le pouvoir, l’avoir et la considération. Ceci aboutit à une rivalité et un conflit entre les hommes. Les guerres étant un effet de la nature humaine selon Hobbes, il vaille mieux sortir de l’état de nature  pour entrer dans l’état social. Sigmund Freud abonde dans le même sens en soulignant que l’agressivité est naturelle ; et, en procédant de Thanatos, elle constitue avec Eros les deux instincts les plus puissants chez l’homme. Cet agressivité n’a pas besoin parfois de motif pour se déployer car elle est spontanée. Freud écrit à juste titre « L’homme n’est pas un être doux, en besoin d’amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais […] au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l’agression ». Ainsi Freud et Hobbes rejoignent le penseur de l’antiquité à savoir Héraclite, qui voyait déjà dans la guerre ou la lutte le principe de toute chose.  Seulement Héraclite  ne concevait pas la guerre comme activité négative en soi à cause de sa dimension destructrice. Donc au moment où Freud  montre qu’il faut concilier les deux instincts pour parvenir à la civilisation car, avec l’agressivité comme seul instinct non canalisé, nous ne  pouvons que tomber dans la barbarie, Héraclite proclame, quant à lui, que la guerre est utile. En effet Héraclite écrit : « Le combat est le père et le roi de tout. Les uns, il l’est produit comme des dieux, et les autres comme des hommes. Il rend les uns esclaves, les autres libres».
En dépit de l’aspect naturel et donc inné de l’agressivité, Freud  souligne que celle-ci doit être sublimée. Ainsi il présente la civilisation comme une domination, une répression de nos instincts animaux tels que l’agressivité et le désir sexuel. Dans cet ordre d’idées la civilisation est donc une barrière, un garde-fou pour ne pas tomber dans l’animalité ou dans la sauvagerie. George Bataille souligne d’ailleurs que la civilisation est une double négation : d’une part la négation de la nature et d’autre part la négation de notre nature première à savoir l’animalité de l’homme. Dans cette dynamique, la  nature est plutôt marquée par le règne de la brutalité et du désordre et le naturel renvoie à du laisser aller et de la satisfaction sans limitation des besoins animaux. Il est nécessaire donc de sortir de l’état de nature pour former un Etat qui est l’organisation sociale au plus haut niveau. La supériorité de l’état social comparé à l’état de nature est incommensurable. L’un des biens inestimables que nous apporte d’ailleurs l’état social est l’existence du droit comme source de référence de nos comportements alors qu’à l’état de nature c’était la loi du plus fort. Hegel écrit à ce propos « L’état de nature est l’état de rudesse, de violence et d’injustice. Il faut que les hommes sortent de cet état pour constituer une société qui soit l’Etat, car c’est là seulement que la relation de droit possède une effective réalité ».
 Bref la comparaison de l’état de nature et de l’état social a soulevé beaucoup de débats et de controverses. Même  si certains penseurs à l’image de Rousseau mettent en exergue les avantages de l’état de nature, la situation de l’homme semble nettement meilleure à l’état social. Il n’en demeure pas moins pour autant que nous devons  souligner que l’état social renferme énormément d’inconvénients.
 Il faut également souligner que l’état de nature est une simple hypothèse de travail qui n’a jamais existé. Des confusions donc peuvent fausser son étude puisse que c’est un produit de l’imagination ou de simples suppositions. Ces controverses d’ailleurs viennent du fait que c’est une étude où chacun y va selon ses opinions. Ainsi selon Kant les notions de bon et de mauvais sont des extrapolations sur l’état de nature. Ces notions sont des valeurs morales ; et la moralité n’existait pas encore à l’état de nature. Ainsi Kant parle plutôt de l’opposition d’Instinct/Raison chez l’homme qui correspond à celle qui existe entre l’état de minorité et l’état de majorité. A l’état de minorité lequel état est marqué par l’absence de règles, l’homme se laisse diriger par ses instincts et ses penchants. Par contre à l’état de majorité l’homme a recours à la raison  et se comporte en se référant à des valeurs  comme source d’existence proprement humaine.

3°) Le problème de l’existence  d’une nature humaine

Existe-il une nature humaine ? Y a-t-il une essence  humaine ? Autrement dit peut-on trouver une caractéristique permanente, universelle et stable qui permet de définir tout homme ?
L’existentialisme, la psychanalyse et le marxisme renoncent à ce projet de chercher la nature humaine en tant que quête d’une constante qui  transcenderait tous les variables chez l’être humain. La diversité des définitions de l’homme proposées à travers l’anthropologie philosophique montre qu’on cherche une constante inexistante. En effet il n’y a pas de nature humaine selon Jean Paul Sartre car l’homme est un existant c’est-à- dire celui qui a la possibilité de se dépasser, de choisir et d’inventer des valeurs. L’homme, capable de se nier à tout instant, n’a pas de nature préétablie. C’est dire qu’on doit se méfier de la notion de nature humaine car il n’y a rien de donné, de figé et de fixe. L’homme n’est pas déterminé par un quelconque statut qui ferait l’objet d’une étude exhaustive.
Dans son ouvrage « Les enfants sauvages »,  Lucien Malson tente de montrer que l’homme n’a pas de nature ; et il n’est qu’un produit de l’histoire, de l’éducation et de sa culture. A travers son mémoire sur les premiers rapports sur Victor De l’Aveyron, il montre que l’enfant ayant longtemps vécu auprès des sauvages a perdu toutes les qualités humaines. L’individu doit donc beaucoup à son environnement ; ainsi, sa capacité de se modifier radicalement est incommensurable et peut dépendre de nombreux facteurs. Ainsi d’innombrables changements peuvent intervenir au cours de son existence faisant que l’homme ne peut pas garder, de façon permanente, une détermination particulière. Cette capacité  de mutation absolue lui offre  une multitude de possibilités que souligne Malson selon ces termes : «En revanche cette absence de déterminations particulières est parfaitement synonyme d’une présence de possibles indéfinis. A la vie close, dominée et réglée par une nature donnée, se substitue ici l’existence ouverte, créatrice et ordonnatrice d’une nature acquise ». L’inexistence d’une nature humaine offre ainsi à l’homme plusieurs possibilités de se définir et de se réinventer. Mais c’est à travers une réalité concrètement donnée qu’on se définit ou se redéfinit. La nature acquise c’est-à-dire  l’essence que l’homme se donne lui-même, n’est pas telle que la conçoivent les théoriciens de l’essentialisme  en l’occurrence Platon et Aristote. Selon ces derniers, les essences (Idée ou Substance) existent en elles- mêmes comme des  réalités absolues et indépassables ; or l’humain se réalise, se construit et n’est nullement une de ces propriétés, qui, une fois trouvée, reste gravée comme une formule mathématique applicable à chaque problème identique. La réalisation de l’humain d’ailleurs est un combat perpétuel car même si l’homme cherche à se dépasser, sa nature animale subsiste et persiste toujours. La culture est donc un combat continuel de l’homme contre lui-même, contre sa première nature.
Toutefois ce changement ou cette capacité d’adaptation de l’homme relève d’une disposition naturelle. C’est dire que l’homme  est dans une inclination qui le pousse à se donner une nouvelle nature et à l’adapter en fonction de son instinct de conservation. Rousseau signalait déjà que l’espèce humaine périrait si elle ne change pas sa manière d’être.
En résumé c’est la nature de l’homme qui indique qu’il ne peut se conserver sans changer cette nature première pour se doter d’une culture, d’une organisation sociale. C’est pour quoi l’homme cherche à éduquer à modifier la dimension naturelle de l’ensemble des propriétés qui le définit en premier lieu et qu’il partage avec les animaux.

Conclusion

Nature et culture, leçon inscrite dans la deuxième partie du programme de philosophie au Sénégal, est un thème très vaste. La deuxième partie, intitulée la Vie Sociale, pose la question suivante : Qu’est-ce que l’homme ? Reprenant ainsi la question de cette deuxième partie, Nature et Culture demeure une leçon centrale, car elle aborde l’étude de l’homme  en tant qu’espèce naturelle certes mais qui tient à marquer sa différence et sa victoire sur toutes les autres espèces de la nature. Cette différence est soulignée de fort belle manière par le fait que c’est un sujet "pensant". Or  l’homme en tant qu’être doté de raison est la problématique de Conscience et Inconscient ; d’où son rapport avec cette  leçon. C’est aussi un être qui cherche à dépasser  et même à s’opposer à la nature  pour se prendre en charge lui-même. Autrement dit c’est l’homme seul qui cherche à contredire la nature par le travail, la science et la technique. Par la même occasion il manifeste sa liberté en imposant à la nature sa volonté. Cette capacité de transformation de l’homme va jusqu’à substituer à l’ordre naturel un ordre social ou culturel. Cet ordre nouveau que l’homme s’est donné repose essentiellement sur sa capacité à communiquer, plus précisément sur un échange linguistique.
Travail ainsi que Langage et communication sont des parties intégrantes de Nature et Culture mais, qui, de par la richesse de leur problématique, seront traités dans  des leçons  à part. Indépendamment du fait qu’elle est intimement liée à tous les thèmes du programme, Nature et Culture a permis d’ élucider des notions comme l’éducation, l’ethnocentrisme, la tolérance etc. Bref elle fait partie  des thèmes les plus riches  en intérêts philosophiques.                                                 
Auteur: 
Khady Mbaye Professeur de philosophie au Lycée de Taïba Niassène

Commentaires

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J'aime bien ce cours je veut mieux comprendre

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